Plan de l'article


2. L'application aux filières lait de chèvre et lait de vache en région Poitou-Charentes


Outils et méthode

Nous l’avons vu, en quelques années la méthode normalisée d’ACV a obtenu une certaine reconnaissance qui tient en grande partie à sa capacité à élargir le périmètre de l'évaluation environnementale à l'ensemble d'une filière agro-alimentaire "du sol à la table". Elle entend répondre à une demande de critères de choix au moment où, suite au Grenelle de l’Environnement, le grand public fait de plus en plus le lien entre alimentation et environnement (Redlingshöfer, 2006). Au plan international elle est employée pour situer la responsabilité des activités d’élevage en matière de changement climatique (FAO, 2010).
C'est dans ce contexte que la démarche du Partenariat régional pour la maîtrise de l'énergie et de l'eau en production de lait et dans l'industrie laitière (PARMEELI) a été entreprise, en se fixant comme principal objectif d'expertiser l'approche ACV en l'appliquant à différentes filières laitières.


Les agronomes, praticiens de l'ACV et experts de la filière laitière contribuant à l’action PARMEELI se sont appuyés sur des rencontres avec des agriculteurs et des personnes ressources de coopératives agricoles de Poitou-Charentes. Le groupe s'est intéressé à différents cas de figure rencontrés dans cette région (filières en circuits courts et circuits longs et ramifiés, pour le lait de vache et le lait de chèvre) pour les caractériser. Leur objectif était également d’identifier les marges de manœuvres pour une atténuation des impacts de chaque maillon et de l'ensemble de la chaîne. Des investigations ont ainsi été menées avec la collaboration d'agriculteurs et d'entreprises de l'amont (alimentation du bétail) et de l'aval (collecte et transformation du lait) avec la volonté de faire progresser les parties prenantes. La restitution des analyses a donné lieu à des discussions sur la façon d'interpréter les impacts de l'agriculture. Il s’est notamment agi d’étudier la possibilité d'intégrer la multifonctionnalité agricole des exploitations qui associent productions végétales et élevage laitier (Huyghe, 2008).


Les partenaires ont, dans un premier temps opté pour une expression des résultats par kg de produit final en cumulant les impacts de la production du lait, de sa transformation, de son conditionnement et parfois de sa distribution et de sa fin de vie. Ceci supposait que les impacts de l'exploitation soient à un moment exprimés par cette même unité fonctionnelle, et que la contribution de la production de lait soit isolée du reste grâce à une clé de répartition. L’allocation économique a été testée dans ce cadre-là.


Une trentaine d'exploitations dont le système repose sur la production de fourrages, de cultures variées et sur l'élevage laitier (espèce bovine et espèce caprine) ont été diagnostiquées en parallèle avec l'outil EDEN-E pour une évaluation de leurs principaux impacts potentiels sur l'environnement (Kanyarushoki et al., 2011) et l'outil Planète-GES pour une approche du bilan des émissions de gaz à effet de serre et du stockage de carbone. Les deux outils ayant fourni des estimations très voisines des émissions brutes sur chaque exploitation, nous avons choisi de rapprocher les émissions brutes calculées par EDEN-E et les émissions nettes (prenant ainsi en compte certaines possibilités reconnues de stockage de carbone) calculée par Planète-GES. Nous avons ainsi vérifié que l’utilisation de plusieurs outils complémentaires pouvait s'avérer nécessaire et fructueuse pour étoffer l’ACV. Le but était alors de compléter l'analyse des externalités négatives de l'activité agricole sur l'environnement par une prise en compte aussi large que possible des services et de produits fournis par l'agriculture. En intégrant un mécanisme de compensation étroitement lié aux processus de l'exploitation agricole – c'est le cas du stockage de carbone dans les sols qui vient compenser à la source les émissions de l'agriculture – l’intention était d’ouvrir la voie pour une possible reconnaissance et prise en compte des services environnementaux liées directement à l'activité agricole, marchands et non marchands, productifs et non productifs (Bonnal et al., 2000).


Il aurait en particulier été souhaitable d’intégrer par la suite les effets de certaines pratiques d'élevage misant sur la valorisation de prairies diversifiées et entourées de haies. L’ACV aurait ainsi montré sa capacité à distinguer les variations d’impacts environnementaux liés à de telles pratiques.
Dans le cadre de PARMEELI, le choix a été fait d'exprimer les impacts potentiels par ha de Surface Agricole Utile (SAU de l’exploitation) augmentée de la surface utilisée indirectement (sur d’autres exploitations agricoles), en particulier celle qui est mobilisée ailleurs pour produire les aliments du bétail achetés. L’unité de surface est apparue comme étant la plus appropriée pour refléter les différentes fonctions assurées par les systèmes de polyculture-élevage. Les niveaux d'impacts par ha sont ainsi étudiés afin de détecter d'éventuelles performances intéressantes sur certaines exploitations, notamment celles qui reposeraient sur une complémentarité optimale entre production végétale et production animale.
Après la phase d’analyse des systèmes agricoles laitiers, les partenaires de PARMEELI ont choisi d'exprimer les impacts du transport du lait et de sa transformation par tonne de lait entrant.
Une réserve a été émise au sujet de ce choix car nous aurions pu considérer que cette étape de la chaîne du lait méritait une unité fonctionnelle spécifique pour mieux répondre aux besoins de critères d’efficacité des différents opérateurs de la chaîne.
Notons en préambule que les filières locales de transformation du lait de chèvre et du lait de vache qui ont été analysées sont relativement simples dans leur structuration : le lait et les éventuels ingrédients laitiers sont surtout d'origine locale, la transformation débouche sur un petit nombre de co-produits et les sites sont relativement autonomes dans leur fonctionnement. Les technologies employées pour produire des pâtes lactiques ainsi que celles utilisées pour produire du beurre peuvent être qualifiées de traditionnelles.



Présentation des résultats

  • Evaluation des impacts potentiels des ateliers laitiers bovins et caprins

Les résultats qui concernent l'étape de production du lait sur les exploitations et qui sont communiqués ici proviennent de l'analyse de 15 exploitations "bovin lait" et 6 exploitations "caprin lait". Nous avons comparé les performances environnementales de ces exploitations avec celles de 41 exploitations bretonnes étudiées auparavant dans le cadre d'une autre étude (Kanyarushoki et al., 2010).
Après avoir caractérisé chaque exploitation de polyculture-élevage grâce à un choix d'indicateurs d'impacts potentiels, nous avons souhaité comparer les exploitations entre elles pour identifier celles qui semblent présenter les meilleures performances environnementales au regard de leur production ou des moyens qu'elles mobilisent pour extraire cette production (Tableau 1).

Parméeli - tableau 1

Nous avons ainsi fait le choix de deux unités fonctionnelles successivement pour exprimer les impacts potentiels.

a) Dans un premier temps, sans chercher à procéder à une imputation des impacts entre l'atelier végétal et l'atelier animal de l'exploitation : l'unité fonctionnelle choisie est l'hectare utilisé, en tenant compte des surfaces mobilisées en dehors de l'exploitation pour la production de végétaux (comme le blé, le soja) entrant dans la composition des aliments du bétail achetés.
b) Dans un second temps, pour identifier la part des impacts liés strictement à l'activité d'élevage de l'exploitation : l'unité fonctionnelle choisie est la tonne de lait standard (sur la matière grasse et la matière protéique) vendue. Nous avons alors séparé les fermes en deux parties : d’une part la production des cultures non utilisées pour nourrir les animaux (cultures de vente) et d’autre part la production animale et les végétaux associés. Ensuite, nous avons utilisé l'allocation économique pour une première approche de l'imputation des impacts entre le lait et les animaux vendus.

Les exploitations étudiées ont été sélectionnées sur des critères qualitatifs : il s'agissait d'analyser des exploitations où l'élevage laitier ne côtoyait que des productions végétales pour éviter l'imputation entre plusieurs productions animales, et des exploitations représentatives où l'élevage laitier s'est modernisé et poursuit son développement en cohérence avec la demande de la filière. L'échantillon est finalement assez hétérogène en ce qui concerne l'importance du cheptel et des surfaces, du litrage livré, et des niveaux d'autonomie et de productivité.


Les exploitations polyculture-élevage caprin, pour lesquelles nous n'avons pas de base de comparaison, sont typiquement des systèmes centrés sur un atelier caprin productif dépendant d’apports extérieurs. Elles se caractérisent en effet par des SAU relativement élevées, une part des surfaces dédiées à l'alimentation du troupeau assez réduite, une utilisation annuelle d'aliments concentrés à hauteur de 514 kg par chèvre en moyenne, et des niveaux de consommation d'azote et d'énergies comparables à ceux des exploitations polyculture-élevage bovin lait. La production de lait par chèvre est supérieure à 750 kg par an. La vente du lait représente plus de 90% du chiffre d'affaire des exploitations étudiées. Le bilan azoté global montre un excédent d’azote sensiblement supérieur à celui des élevages bovins lait.

  • Impacts de la chaîne du lait de vache en aval de la production

L'ACV du lait de vache vendu par les exploitations de polyculture-élevage bovin "lait" a été complétée par un inventaire des flux de matières et d'énergie liés : à la collecte de ce lait, à l'utilisation de ce lait pour la fabrication de beurre et de crème destinés au marché de l'alimentation humaine, à la distribution de ces produits, et au transport des co-produits (essentiellement le lait écrémé) vers d'autres sites de transformation en région et hors région (Tableau 2).
En ce qui concerne la consommation d'énergie non-renouvelable et la contribution au changement climatique, l'impact global de la chaîne du lait semble pouvoir varier de façon importante.

Parmeeli - Tableau 2

Discussion et conclusions

En ce qui concerne le volet exploitation, nous constatons des niveaux d'impacts par hectare comparables pour les exploitations bretonnes et thouarsaises. Après imputation des impacts entre le lait vendu et les autres productions de ces exploitations en polyculture-élevage, les impacts des ateliers laitiers de l'échantillon du Thouarsais – exprimés par 1000 kg de lait – sont supérieurs à ceux des ateliers laitiers bretons.
Une première approche des systèmes d'élevage caprins montre des niveaux d'impacts supérieurs à ceux des systèmes bovins lait
Notre analyse de systèmes "filières" peu étendus où les circuits sont relativement courts nous permet de quantifier des niveaux d’impacts relativement importants pour les étapes qui précèdent et qui suivent le maillon de production du lait. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne l'utilisation de l’énergie non-renouvelable et les émissions de gaz à effet de serre. Nous observons ainsi que de façon plus générale les activités en amont et en aval des élevages peuvent contribuer de façon significative à la signature environnementale des produits, et que cette tendance peut se renforcer dans des filières plus ramifiées.
Notons à ce propos que les inventaires concernant le devenir des produits, des co-produits et des déchets sont difficiles à mener quand les étapes du secteur aval font appel à un grand nombre d'acteurs économiques qui interagissent.

Nous retiendrons ainsi que les filières laitières les plus longues et les plus complexes peuvent générer des niveaux d'impacts et comporter des marges de progression non encore élucidés.

 

Partager :

Connexion

Merci de vous connecter pour accéder à l'espace collaboratif

Bienvenue

Go to Top