Plan de l'article


4. Les perspectives d’évolution des outils d’analyse

 

  • Propositions pour utiliser l’outil ACV dans le cadre d’un bilan environnemental de l’activité agricole


L’expérience de mise à l’épreuve de l’ACV par la pratique dans le contexte des filières laitières de Poitou-Charentes aboutit à des propositions dans le sens d’une évolution de la méthode et des outils.
Une première proposition est liée à la préoccupation de reconnaissance des spécificités agricoles. Elle fait référence à la notion de surface utilisée et à la capacité de l’agriculture à rendre cette surface multifonctionnelle et fertile sans conséquences dommageables sur son environnement.

La difficulté réside ici dans la définition d’un nouveau critère pour associer deux dimensions liées au bilan environnemental : la fourniture de services environnementaux et d’agro-ressources d’une part, et le potentiel de l’agro-système, plus ou moins favorable pour une telle valorisation. Nous voulons ainsi intégrer les variations du milieu qui peuvent conditionner la réussite de l’activité agricole. Il s’agit de considérer que certaines conditions du milieu sur lequel repose l’agro-système peuvent faciliter l’expression de services et la production, tandis qu’à l’inverse, d’autres conditions peuvent rendre ces tâches difficiles pour l’agriculture et lui demander un surcroît d’efforts pour y parvenir. Ces conditions sont par exemple la fertilité du sol, la disponibilité en eau, des aspects climatiques et paysagers. Elles sont a priori variables d’une exploitation agricole à l’autre et se déclinent en combinaisons d’atouts et de limites plus ou moins déterminantes pour le développement de l’activité agricole. Face à ce contexte, l’agriculture est en mesure de développer des techniques et de mobiliser des moyens pour parvenir à ses fins. Cet investissement a des conséquences environnementales, avec des impacts plus ou moins négatifs sur le milieu et en termes de gestion des ressources. L’ACV opère traditionnellement à cette place, pour quantifier ces impacts. Nous proposons de prolonger son analyse en définissant le Service Agro-Ecologique (SAE) lié à l’activité agricole. L’objectif de cet indicateur est de situer la capacité de l’activité agricole à fournir une quantité accrue de services et de produits avec un faible niveau d’impacts négatifs, dans un contexte écologique donné. Sa mise en œuvre à l’échelle d’une exploitation agricole serait subordonnée à trois évaluations complémentaires : celle du potentiel de l’agro-système, sous forme d’un indicateur composite de ses atouts et limites, celle de la valeur globale dégagée par l’activité agricole sous forme de services non marchands et de produits, et celle des effets de son activité considérés comme dommageables pour l’environnement. Il ne s’agit plus de comparer les exploitations sur leurs impacts (leur consommation d’énergie ou leurs émissions de gaz à effet de serre), mais d’introduire un ratio d’efficacité. Un niveau élevé de Service Agro-Ecologique indiquerait par exemple une activité qui tire réellement parti des potentialités de l’agro-système avec une fourniture de services élevée et des impacts négatifs faibles.


Dans des cas de milieux particulièrement défavorables, le Service Agro-Ecologique pourrait être jugé satisfaisant pour une agriculture fournissant une valeur modérée sous forme de produits et de services et un niveau d’impacts significatifs (besoin d’énergie par exemple pour compenser certains handicaps naturels). Les marges de progression d’une exploitation peuvent dans ce cas être axées sur l’amélioration de sa production, de ses services, ou de sa maîtrise de certains impacts. Et chaque exploitation pourrait être amenée à déterminer un objectif de Service Agro-Ecologique à atteindre.
Cette approche offrirait selon nous de nouvelles perspectives pour situer l'intérêt de la promotion des activités d'élevage dans des contextes où celles-ci présentent le meilleur Service Agro-Ecologique par comparaison avec d’autres systèmes agricoles. A terme, il serait envisageable de s’appuyer sur cette notion pour montrer la durabilité de certaines filières animales parvenant à valoriser une biomasse locale avec un bon niveau de productivité par ha dans un contexte de potentiel agronomique limité et avec des besoins de flux de matière et d’énergie très réduits.
Cette proposition vise à apporter le complément d’information qui semble nécessaire pour que l’ACV appliquée à l’agriculture devienne effectivement un outil d’aide à la décision.

 

  • Une nouvelle attention à porter à l’interprétation des résultats des ACV des produits alimentaires


L’ACV s'emploie à identifier les opérations qui se distinguent par les contributions les plus importantes aux impacts environnementaux du produit final : elle utilise le terme de "points chauds" pour les désigner. Dans les filières agro-alimentaires, elle tend à localiser ces points du côté des étapes agricoles (Foster et al., 2006) et dans le cas de la chaîne du lait elle voit surtout une prépondérance des activités d’élevage pour expliquer les impacts environnementaux des produits laitiers (Weidema et al., 2008). Les plans d'actions pour l'amélioration des performances environnementales de la filière se tournent alors en priorité vers le volet agricole, les autres compartiments du système productif se retrouvant ainsi en situation de témoin des efforts que l'agriculture doit accomplir.


Mais cette interprétation mérite selon nous d’être reconsidérée. Car si nous admettons que l’ACV ne parvient pas encore à établir un bilan environnemental complet de l’activité agricole (indicateurs manquants, compensations partiellement prises en compte et services environnementaux occultés), il est encore trop tôt pour envisager des comparaisons avec le bilan environnemental des autres activités et déterminer des priorités pour agir. De même, ce bilan n’étant pas établi, il n’est pas possible d’affirmer que les écarts importants de performances environnementales constatés entre exploitations agricoles permettent de présager des marges de progression élevées pour les moins "performantes".


Dans la continuité de cette interpellation, nous pouvons avancer une recommandation de prudence : dans l’état des connaissances actuelles, il faut encore aborder le chantier de l'éco-conception de la façon la plus ouverte possible, en cherchant à impliquer toutes les activités comme des parties prenantes, pour ne pas laisser de compartiments du système productif à la marge. Dans ce contexte, il nous semble que l’interprétation des résultats d'une ACV appliquée à un produit transformé alimentaire peut donc s'imposer une étape d'effacement du point chaud agricole afin de faire apparaître les étapes en amont et en aval. Celles-ci génèrent sans doute des flux de matière et d'énergie importants qui étaient rendus peu perceptibles par comparaison avec les impacts de la matière première agricole vue par le prisme des outils d'analyse actuels. Ce faisant, la diversité des situations peut ressortir, avec une nouvelle pertinence des comparaisons entre systèmes productifs. Puisqu'il y a des enjeux réels et forts autour de ces questions d'évaluation de la durabilité et d'éco-conception pour le développement agricole et rural, nous proposons que les efforts se poursuivent pour que le volet agricole bénéficie de l'approche et des outils appropriés.

 

  • Vers de nouvelles orientations pour l’éco-conception dans les filières laitières


L’ACV permet d’accéder à une nouvelle prise de conscience : les conséquences environnementales des façons de produire doivent être replacées dans le contexte plus vaste du cycle de vie des produits. Et parallèlement nous comprenons qu’une action d'amélioration des performances environnementales menée localement peut avoir un effet limité si ce n'est pas l'ensemble de la chaîne de production, de transformation et d'approvisionnement qui est remis en question. Le cas du lait et de l’industrie laitière peut être caractérisé en quelques mots de la façon suivante : une tendance à la concentration des activités de production et de transformation, des bassins de production denses qui côtoient des zones intermédiaires (où les éleveurs sont éloignés les uns des autres), une denrée périssable, et de nombreuses activités en amont et en aval de la production du lait dans les exploitations agricoles. Dans ce contexte, l'exemple de l'impact "consommation d'énergie" lié à la production d'un fromage est révélateur : avec des tâches énergétivores bien réparties tout au long de la chaîne, depuis la production des intrants de l'exploitation, jusqu'à la distribution et la consommation de ce fromage (fin de vie et gestion des déchets), une diminution significative d'un indicateur de type "consommation d'énergie par kg de fromage" ne peut reposer que sur un partage de l'effort entre les différents maillons de la chaîne.


L'analyse des flux, qui apparaissent complexes - soit "distendus" le long d'axes d'échanges interrégionaux ou internationaux, soit condensés autour de pôles locaux d'activités - ouvre la voie à une forme d'éco-conception partagée et coordonnée. Autrement dit, une forme d'écologie industrielle impliquant des acteurs de la filière laitière et d'autres acteurs économiques présents sur le territoire peut s’avérer incontournable pour que des objectifs ambitieux soient atteints en matière de réduction des consommations d’énergie non-renouvelable et de réduction de la contribution au changement climatique. Des exemples sont certes donnés par la coopération laitière de Poitou-Charentes qui recherche désormais des formes de substitution de l'énergie non-renouvelable par des ressources énergétiques renouvelables (essentiellement des sources de biomasse) et produites à proximité des sites de transformation qui en ont besoin. Mais les coopérations dans ce sens peinent encore à montrer des effets positifs probants (Tableau 3).

Parméeli - Tableau 3


Les acteurs économiques peuvent engager des actions de progrès à chaque étape et chacun de leur côté, en faisant appel à certaines innovations, et une certaine coordination des efforts peut s’avérer également très efficace et venir en complément. Des leviers existent du côté du développement des énergies renouvelables, de la recyclabilité des déchets, de l'optimisation des circuits du lait et des produits laitiers finis (logistique collaborative par exemple), ou encore de la reconversion des systèmes agricoles vers des formes d'agriculture écologique. Il faut noter que les coopératives laitières butent sur plusieurs difficultés au moment de s’engager dans des processus d’innovation technique, technologique ou organisationnelle. Nous pouvons en citer deux, pour attirer l’attention sur les moyens à mettre en œuvre pour lever certains verrous :

- les investissements en matière d’éco-conception s’avèrent difficiles à envisager dans un contexte économique tendu et où les solutions offertes par les transports restent avantageuses par rapport à des logiques d’écologie industrielle locale,
- les discussions pour combiner les efforts des transformateurs avec ceux des fournisseurs et des clients sont encore balbutiantes (achats "responsables").

En définitive, si nous voyons certaines actions constructives émerger et se développer sur le terrain de l’éco-conception des produits laitiers, et que nous pouvons déterminer ce que l'adoption de tel nouveau processus ou de tel matériel innovant peut apporter à l’entité engagée dans cette voie, il serait aventureux d’affirmer que cette évolution sera perceptible à l’échelle du bilan environnemental de la filière laitière française.

 

  • Pour une amélioration de la qualité de l’information sur les caractéristiques environnementales des produits alimentaires


Les enjeux dans le domaine de l'information environnementale sur les produits et l'accomplissement des efforts escomptés pour réduire les impacts environnementaux des systèmes productifs agricoles et agro-alimentaires sont liés. L’affichage et l’étiquetage des caractéristiques environnementales des produits ont en effet pour objectif initial de faire apparaître les produits les moins dommageables vis-à-vis de l’environnement pour qu’ils soient choisis préférentiellement par les consommateurs.

L’étiquette environnementale devra donc en principe être représentative de la réalité du bilan environnemental du cycle de vie du produit et des systèmes productifs qu’il implique. Dans le cas des produits alimentaires la réalité des impacts de l’agriculture et des activités agro-alimentaires doit être reflétée. Mais nous retrouvons ici les limites du réflexe d’agrégation des impacts de l’agriculture avec ceux de l’industrie.

Un moyen relativement simple d’y remédier serait de rendre compte séparément du bilan environnemental de l'agriculture et des impacts de l'ensemble des étapes non agricoles. Une communication des résultats "à deux versants" peut être mise en place dans ce sens. L'unité de surface utilisée pour exprimer les critères environnementaux de l'agriculture permettrait de sortir le versant agricole de l'approche "produit", tandis que les impacts du deuxième versant (les activités de logistiques, de transformation, de commercialisation, etc.) pourraient continuer à être exprimés par unité de produit. Ce passage à un niveau de détail supplémentaire de l'information serait plus instructif que les indications qui regroupent et confondent toutes les activités, et serait bien accueilli par la profession agricole (possibilité de rappeler le "sens" des activités agricoles et d'intégrer les différentes démarches environnementales adoptés par les agriculteurs, comme la certification environnementale).

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