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Les événements récents autour de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes montrent les conséquences d'une absence de capacité de notre société à organiser des processus de concertation sur les choix d'aménagement et d'infrastructures qui pèseront sur l'économie et l'attractivité des territoires dans les décennies à venir. Mais il ne s'agit pas simplement d'une lacune de démocratie : la source de l'ambiguïté se situe sur la façon dont nous voulons entreprendre une réduction des transports et une relocalisation des activités.

Qui sait aujourd'hui combien de camionsVignettesH relocalisation

et de kilomètres parcourus

se cachent derrière le rayon fruits

et légumes frais d'un supermarché ?


Un avenir gravé dans le bitume

Le développement des transports reste un marqueur de la santé de l'économie d'un pays comme la France. Si le trafic baisse, sur les routes ou dans les airs, pour les transports de personnes ou de marchandises, c'est l'inquiétude. Avions et poids lourds, avec toutes leurs industries, tous leurs sous-traitants, et tous leurs usages, sont indiscutablement un pilier de l'économie actuelle, autant qu'ils sont une des sources majeures d'émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) liées aux activités humaines.

Nos modes de vie, aussi étendue soit la gamme de variation de nos habitudes de consommation, sont intimement liées aux transports. Le repas de l'entrée au dessert, les matériels et matériaux qui nous entourent, et au-delà, c'est toute la solidité du système socio-économique environnant qui repose sur cette liberté d'aller et venir, de “faire aller” et de “faire venir”.

Et spontanément tant de forces agissent conjointement pour faire perdurer cette économie, et pour ralentir plus ou moins ouvertement les tentatives de remise en question. Le mot transport n'apparaît pas une seule fois dans les 39 pages de l'accord de Paris (COP21, déc. 2015), convention-cadre sur les changements climatiques.

Belle transition, illustration 1, octobre 2016


La comptabilité environnementale à la rue

L'information sur les transports et l'importance de leur contribution à la consommation des ressources et au changement climatique reste dispersée. C'est un constat terrible : en 2020, dans notre pays et dans toute l'Europe, la responsabilité des Transports Routiers de Marchandises (TRM) vis-à-vis des grands enjeux environnementaux n'est pas clairement établie, même par le Réseau Action Climat. Les chercheurs, les statisticiens, les administrations et les professionnels du secteur jouent encore à cache-cache pour ne pas faire toute la lumière sur les processus consommateurs et émetteurs liés directement (lorsqu'un camion roule sur une route) et indirectement (lors de la fabrication du camion et de l'entretien de la route) aux TRM.

Toute la matière grise mobilisée pour préparer l'affichage environnemental sur les produits (notamment alimentaires) n'a pas donné le résultat de ses calculs… Qui sait aujourd'hui combien de camions et de kilomètres parcourus se cachent derrière le rayon fruits et légumes frais d'un supermarché ? Tout ceci est resté “secret défense” ou presque, au désespoir des scientifiques de l'évaluation environnementale qui auraient sans doute voulu aller un peu plus loin dans cette direction.

Aujourd'hui peu de gens savent ce qu'une usine de fabrication de camions coûte en termes de ressources (minerais, énergie, etc.) et d'émissions de CO2. Ils sont encore plus rares et plus discrets ceux qui peuvent y ajouter les coûts environnementaux (ressources et émissions) de l'ensemble de leurs fournisseurs en amont et de leurs clients en aval.

Donc, nous ne saurons pas ce que le climat de demain devra aux transports français, européens, et mondiaux !

 Mystère et boule de caoutchouc...

Des données manquantes ou dispersées pour connaître l'impact environnemental  des transports routiers de marchandises (TRM) :

- Le coût ressources et émissions de la fabrication d'un camion,
- Le rythme de renouvellement de la flotte de camions européenne,
- Le coût ressources et émissions de l'ensemble des services d'entretien de la flotte de camions européenne,
- La somme des consommations annuelles de carburants pour les TRM.
- La part des travaux de réfection des routes imputables au trafic de camions des TRM,
- Le coût ressources et émissions des travaux de réfection des routes empruntés par les camions en Europe.

La relocalisation au cas où

Lorsqu'un territoire n'est pas insulaire et a plus d'une corde à son arc, ses acteurs économiques dont le développement s'est appuyé sur l'import-export pourraient être sincèrement intéressés par une réorientation des marchés en faveur de circuits plus locaux.

La piste d'une production mieux répartie géographiquement pour couvrir les besoins divers et variés de la population locale n'est pour autant pas prise au sérieux. Pas même la possibilité de voir se dessiner une mosaïque de territoires adjacents se dotant chacun d'une agriculture, d'un artisanat, d'une industrie suffisamment diversifiés pour couvrir l'essentiel de ses besoins.

La Stratégie Nationale de transition écologique vers un Développement Durable française (SNDD) 2015-2020 ne cache pas son renoncement sur ce terrain : la relocalisation de l'économie – ce terme n'y apparaissant d'ailleurs qu'une fois – y est rangée au rayon des stratégies de repli au cas où le changement climatique viendrait perturber l'ordre économique établi.

Les flux de denrées alimentaires, pondéreuses et périssables, sont considérables. Le réseau d'intérêts économiques très serré qu'ils tissent ne crée pas les conditions favorables pour faire émerger une alternative au mode de développement dominant actuel auquel tant d'acteurs économiques sont attachés. La relocalisation doit compter sur les agriculteurs eux-mêmes et les circuits courts qu'ils mettent en place avec les consommateurs et leurs partenaires associatifs et institutionnels les moins imbriqués dans les filières longues.


« Etes-vous favorable au projet…? »

L'alternative au “tout camion, tout avion” doit être développée avec des arguments économiques pour pouvoir convaincre. Le choix proposé lors de la consultation pour ou contre le transfert de l'aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes est révélateur de notre manque collectif de capacité à élaborer et à porter à la connaissance d'un large public l'existence d'un projet alternatif, intéressant au plan économique, et rendu possible par l'abandon de l'option de transfert de l'aéroport.

Si une majorité des habitants d'un territoire attend une relance économique liée à un projet d'infrastructure, elle est alors moins sensible aux slogans appelant au respect de l'environnement avant tout (tel celui-ci : « Oui au bocage, Non au carnage »). Elle serait éventuellement demandeuse d'une autre perspective de surcroît d'activité pour l'économie locale fondée sur d'autres aménagements, d'autres investissements, permettant aussi d'envisager l'avenir. Il aurait été sans doute judicieux de proposer de choisir entre deux projets aux effets économiques (à court et long termes) comparables, se différenciant par le contenu des activités induites et la nature des emplois créés.


L'irrédentisme spontané face aux promoteurs

En fixant les positions du débat entre le camp de la sanctuarisation des Zones d'Aménagement Différées et celui de l'artificialisation d'une zone humide comme passage obligé de la croissance et de la mondialisation, c'est la possibilité d'une entente autour d'une forme de transition écologique du territoire qui est écartée.

Elle serait constituée, cette transition, d'une association de sources d'activités plus ou moins créatrices d'emplois et plus ou moins soutenables pour l'environnement. Association non pas figée, mais en évolution et traversée par un impératif de relocalisation progressive et volontaire de l'économie, le regard tourné vers la diminution de ses impacts environnementaux au fur et à mesure qu'elle crée davantage d'activités, et que ces activités se transforment.

Nous sommes des témoins étonnés de la force persuasive d'une économie “du kérosène et des poids lourds” : elle est encore de notre temps ! Face à elle, nous constatons la timidité voire l'absence d'ouverture sur une diversité de projets et sur un projet alternatif construit et capable d'emporter l'adhésion. Quand la confrontation prend un tour “physique”, précisément là où les travaux sont prévus, et qu'un front de résistance s'organise, de toute évidence ce n'est pas une fabrique des plans B qui se met en place. Il s'agit pour les opposants anti-légalistes, et ceux qui les soutiennent dans leur radicalité, de renverser le système et l'état avec ses accointances industrielles, au moins à l'échelle de la parcelle.

Une nouvelle forme d'irrédentisme voit ici le jour, nomade et spontané, où la terre appartient au militant qui la jardine. Et cet irrédentisme aussi généreux et plein d'espoir s'impose comme la seule contestation consistante capable de tenir tête aux promoteurs d'un projet réduit à sa dimension destructrice. En conclusion : tous les ingrédients de l'impasse.

Belle transition, illustration 2, octobre 2016


Pour une stratégie de dénouement au secours de la transition

Les innovations ne suffiraient pas à apporter la solution. La transition, même si elle concerne le territoire, reste souvent une notion abstraite, et l'état final auquel elle conduit ne fait sans doute pas consensus : une transition, mais vers où ?

Avec sans doute l'appui de nouveaux acteurs et des moyens appropriés*, dans le cas des projets d'infrastructures, et pour cette tension de grande ampleur entre transports et relocalisation, le rapprochement des points de vue doit se faire.

Le combat frontal entre les “grands projets” et les partisans de l'occupation des terrains par de petites communautés rurales autosuffisantes ne peut pas être une fin, ni même une étape. L'inertie d'un système fondé sur le kérosène et les poids lourds doit être confrontée à la nécessité d'une progression vers l'équilibre entre les services attendus par les acteurs du territoire : emploi, revenu, mais aussi bien-être, préservation de la ressource en eau, de la faune et de la flore…

Cette progression ou transition demande de se projeter vers un dénouement possible, et qu'un cap soit donné et partagé. A force de (vrais) choix, de reconversions expérimentées et rendues possibles, d'arrivées de nouveaux acteurs, de ré-attributions de moyens, d'innovations organisationnelles : assurer le développement qu'ils souhaitent aux habitants, et en faisant de la terre un jardin.

 
François Fuchs

Agronome, animateur du projet Sources alimentaires info, rédacteur pour Belle transition !

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Illustrations par Hélène Le Dauphin

Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Site web : http://heleneledauphin.blogspot.fr/

 

* : Un exemple de situation conflictuelle avec laquelle nous pouvons faire un parallèle ici (il s'agit bien de concilier des enjeux économiques et environnementaux) nous est donné par le retour des loups et des ours dans les montagnes françaises. Depuis peu, une association propose de former des volontaires pour accompagner les bergers dans les alpages avec leur troupeau, au moment où leur travail se complique en présence des prédateurs. C'est donc la voie d'un dénouement : avec l'apparition de nouveaux acteurs, pour faire reconnaître que la cohabitation carnivores-éleveurs-herbivores n'est pas infaisable. Dans un contexte où il est de plus en plus clair que les ours et les loups ont leur raison d'être. Quand l'élevage extensif s'est développé dans les zones montagneuses, l'ours et le loup sont apparus comme des obstacles, et ont été éliminés, et la question d'une éventuelle cohabitation pacifique, si elle se posait, a été remise à plus tard. 

Pour en savoir plus : association FERUS, lien vers la page web consacrée au pastoralisme.

 

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