Le filon du savoir-faire français pour le verdissement de l'économie sera nécessaire mais pas suffisant pour une véritable transition écologique. Les processus de négociations de l'accord de Paris et d'autres contrats locaux ou globaux ne montrent pas une simple "victoire du pouvoir de la finance" comme cela est souvent dénoncé. Nous sommes plutôt témoins, et parfois complices, d'une manœuvre plus insidieuse et contagieuse, à savoir la séparation entre l'action et les doutes à avoir à son sujet.

 

Croissance verte, une histoire de branches

Deux dispositifs mis en place avant la COP21 et portés avec un certain volontarisme par l'Etat français, ainsi que l'accord de Paris lui-même, sont révélateurs d'une nouvelle ambition sur les questions environnementales.

Il s'agit de la Stratégie Nationale de Transition Ecologique vers le Développement Durable (SNTEDD), tournée vers tous les acteurs de la société, et de l'initiative "4 pour 1000" pour le stockage de carbone dans les sols, concernant plus particulièrement les activités agricoles et forestières.

Dans un contexte où il est assez unanimement reconnu que la lutte contre le changement climatique est un défi considérable et que l'humanité peine à se mettre en marche à la bonne vitesse et avec la bonne boussole pour, au moins, le ralentir, nous souhaitons mettre l'accent sur la disproportion persistante entre les enjeux et la réponse apportée, au moment où pourtant, un certain virage est pris collectivement.

Il nous semble ainsi primordial de faire la part de choses entre, d'une part, les tentatives de s'accorder collectivement sur la réduction des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) pour éviter la catastrophe climatique, et d'autre part, ce qui fait défaut pour métamorphoser un développement économique global encore pleinement dépendant des énergies fossiles, dont nous transférons un peu plus chaque jour le contenu carbone (sous forme de CO2 et avec d'autres GES) vers l'atmosphère.

 

Comment savoir quelle sorte de transition écologique est réellement en marche ?


Voyons comment en France, puis dans cette COP21 marquée aussi par un certain "état d'esprit français" sur ces questions, la préoccupation cruciale de l'écart entre l'ambition affichée et les forces réelles en présence, et de l'analyse continuelle de cet écart, est passée sous silence au profit d'une communication positive sur des solutions fournies clé en main.

La SNTEDD succède à une serie de versions d'une stratégie nationale de développement durable chargée d'idées qui n'ont pas donné lieu à des applications de grande envergure, ni débouché sur les résultats escomptés. Elle propose cette fois-ci un changement d'optique sensé ouvrir sur de nouvelles formes concrètes de mobilisations, et redéfinit des priorités (en se privant d'un volet "immigration" au passage, qui existait dans les éditions précédentes).

L'ensemble consiste – que cela soit délibéré ou non – à faire entendre aux acteurs économiques qu'ils ont désormais tout intérêt à mettre en avant leurs atouts d'ingéniosité, de savoir-faire, de technologie, pour être compétitifs sur un marché émergent des complicités avec la "croissance verte". C'est à dire, de valoriser toutes les contributions qui rendraient cette communication rapprochant économie et écologie crédible.


Les entreprises industrieuses comme réponse au changement climatique


Il y a bien un postulat qui dit que l'accroissement économique - c'est à dire l'augmentation de nos besoins, couverte par celle de nos activités pour y répondre, avec un solde positif de cette opération – est compatible avec la réduction significative de nos impacts négatifs sur l'environnement et la maîtrise de leurs conséquences.

Nous entrons depuis quelques années dans l'ère de la démonstration de ce postulat par l'exemple : oui, des technologies de substitution sont mises au point – comme du côté des énergies renouvelables – et nous pouvons les adopter ! C'est en tout cas ce qui est convenu.

Et où est l'enjeu réel de cette démonstration ? De toute évidence il s'agit avant tout de confirmer une hypothétique synergie possible entre la croissance économique telle que nous la concevons aujourd'hui et les actions à mener de toute urgence pour préserver de grands équilibres écologiques. Hypothèse qui sous-tend a priori l'expression "croissance verte".
Et parallèlement, nous mettons de côté l'analyse de la capacité présumée de nos inventions à changer profondément le métabolisme de notre développement (donc pas simplement "pas à pas", de proche en proche, ou par "petites touches"), ce qui nous situerait sur le terrain de l'évaluation des promesses de la transition et de ses résultats au regard de l'enjeu planétaire...

Dans la SNTEDD, il s'agit avant tout de donner du crédit à cette croyance qu'il existerait une rencontre fructueuse entre un certain modèle économique et de nouveaux impératifs écologiques. Il n'est donc pas question de vérifier ensemble que nos façons de penser et d'agir, nos initiatives, répondent bien au problème posé. Si il s'agit de convaincre avec des solutions, et que nous sommes déjà dans l'action, il n'est plus temps de prendre du recul, de détecter les limites de ce que nous proposons. Et le silence s'installe à la place de l'inventaire des critiques et des doutes légitimes. Le temps de la COP21 a sans doute constitué une sorte de paroxysme de cette tendance. Avec l'externalisation des questionnements au sujet du bien-fondé des objectifs et des modes d'action décidés collectivement et en passe d'être gravés dans le marbre.


Le doute dedans plutôt que dehors : une humilité à retrouver dans l'action contre le changement climatique

 

Le processus de signature de l'accord de Paris lors de la COP21 n'aurait sans doute pas suscité autant d'émotion s'il s'était agit, avec un peu de pondération, de reconnaître une "certaine capacité d'action" assortie d'une interrogation sincère sur nos chances de réussite pour freiner l'évolution du climat de la planète.

Mais quand la promesse de l'action universelle ne se dote pas d'un doute aussi universel au sujet de l'efficacité de ce qui est entrepris au regard des enjeux considérables qu'il s'agit d'affronter, où en sommes-nous ?
Sans doute pas très loin de ce qui reste un exercice d'autopersuasion, pour nous confirmer à nous-mêmes, rassemblés en une sorte de communauté, que nous sommes dans le vrai.

En préparant la COP21, les sciences agronomiques et leurs partenariats public-privé ont joué sur la même corde exaltante du "nous y sommes !". Du côté de la capacité des sols à absorber les émissions de GES de l'humanité toute entière, la confusion vient de la facilité avec laquelle un discours officiel s'appuie sur des observations scientifiques incontestables (oui, nous pouvons mesurer la capacité de stockage de carbone de certains sols, dans les prairies pérennes par exemple) pour envisager une généralisation planétaire de ce constat transformé en solution.   

Au secours du climat

 Au moment d'applaudir à l'annonce d'un essai, d'une tentative... en la dissociant des questionnements sur sa faisabilité et sa portée (questionnements en l'absence desquels nous devrions bien nous garder de nous réjouir trop vite), nous nous fédérons autour d'une intention, d'une proclamation, alors que nous sommes déjà privés du bénéfice du doute, de la remise en question légitime dont elle n'aurait pas dûe se séparer.

Ainsi nous avons le droit de nous interroger : dans quelles conditions le taux de 4 pour 1000 peut se vérifier, quelles surfaces pourront être vouées à de tels objectifs de stockage de carbone dans les années qui viennent, etc. ?

 

Bientôt un brevet pour la chlorophylle ?


Ce n'est pas nouveau, si nous cédons si facilement à la sidération (SNTEDD, COP21, initiative 4 pour 1000, et d'autres) devant les solutions non accompagnées des mises en garde sur leur pertinence et de vérification de leur efficacité, c'est bien souvent parce que nous attendons la récolte imminente des profits qu'elle peuvent apporter à court terme.

Par exemple, si nous décidons ensemble que la chlorophylle est la solution car elle permet la photosynthèse et donc la "fixation" du CO2, les mieux placés pour défendre la thèse d'une révolution pour lutter contre le changement climatique grâce à elle, seront ceux qui auront pris un peu d'avance en faisant breveter une nouvelle chlorophylle, et qui seront prêts à en vendre à une clientèle prête à croire au miracle annoncé.

La logique à l'œuvre ne peut donc pas porter avec elle le manuel de ses propres doutes. C'est une solution à but commercial, elle n'est pas mise en discussion, ou en tout cas pas encore.

Attirons l'attention de tous les petits et grands signataires de nos petits et grands accords sur le climat, de tous ceux qui fondent beaucoup d'espoir sur leur mise en œuvre, et de leurs détracteurs aussi : quand la mobilisation pour le climat ou les grands enjeux environnementaux fait l'économie de sa propre revue critique et ne présente pas ses atouts et ses faiblesses, quand elle ne publie pas le "rapport de ses doutes", c'est que nous avons basculé dans le commerce des solutions présentées comme les meilleures.

Il ne peut plus alors être question d'universalité : c'est le marché de dupes qui l'emporte, renvoyant dos à dos ceux qui ferment les yeux pour ne pas voir les faiblesses de ce qu'ils vendent, et ceux qui ne sont pas informés de la face cachée de ce qu'ils achètent.

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Pour retrouver et commenter cet article publié sur le Blog Mediapart de François Fuchs, suivez ce lien.

 

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Texte François Fuchs

Agronome, animateur du projet Sources alimentaires info, rédacteur pour Belle transition !

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Illustration Hélène Le Dauphin

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