Dans cet article :

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Introduction

Suite à l'annonce en 2010 par les Fromageries Occitanes (coopérative Alliance Agro-Alimentaire dont le siège est à Toulouse) d'une réduction d'activité à la laiterie du Malzieu-Ville accompagnée d'une vague de licenciements, l'idée d'une reprise par les salariés de certaines fabrications en passe d'être abandonnées a fait son chemin. A une plus petite échelle mais dans des circonstances semblables à celles que connaît ces jours-ci la compagnie transmanche Seafrance, la proposition de SCOP (Société Coopérative Ouvrière de Production) formulée par les syndicats a suscité à la fois de l'espoir et une certaine défiance de la part des différentes forces en présence. A la croisée d'enjeux déterminants et très actuels pour notre pays (industriels, ruraux, agricoles, alimentaires, écologiques, et socio-culturels), au moment où les grandes coopératives agricoles précisent leur stratégie de croissance et où des territoires mal reliés à des pôles structurants et dynamiques se retrouvent à ne pouvoir compter que sur eux-mêmes, c'est la lutte des priorités qui est à l'œuvre. Après quelques mois passés à essayer de susciter une concertation et l'émergence de projets dans le sens d'une approche territorialisée du développement le constat est sans appel : la création d'une SCOP repose sur la maturation d'une initiative collective et un processus de délibération ouvert débouchant sur un consensus. Ce n'est pas un dispositif de l'urgence. Lorsque la crise survient et que rien n'a été préparé sur le terrain de l'économie sociale et solidaire avec le temps qu'il se doit (ce qui aurait pu être fait "par anticipation"), la réussite d'un projet de SCOP est hautement compromise. Nous pensons que les tentatives qui se sont soldées par des échecs sont en la matière très instructives et à mettre à profit sur le terrain du développement local : une fois la page de la SCOP tournée et en attendant le prochain contre-coup de la crise, le processus de réappropriation des enjeux du territoire et des projets qu'il est en capacité de porter est vital. Tous les moyens et partenariats disponibles doivent s'associer au moment de répondre à la panne de l'imaginaire social qui rend le territoire si vulnérable et qui se traduit par l'absence d'anticipation. Autour de la question de la mise en valeur des productions agricoles (en particulier la lait et les fromages) d'un territoire du nord de la Lozère, entre Margeride et vallée de la Truyère, nous voulons ici apporter des éléments pour engager ce diagnostic et cette démarche de projet qui permettraient de préparer dans de bonnes conditions l'ouverture d'une fromagerie collective (par exemple) sur les terres de l'ancienne Coopérative Laitière de la Haute-Truyère (CLHT).


1. Quelques raisons de l'échec d'un projet de SCOP fromagère au Malzieu


Dans le cas présent (réduction de l'activité du site de la laiterie du Malzieu par les Fromageries Occitanes qui disent pouvoir mettre une partie du lait collecté et des locaux à disposition d'un repreneur, y compris si ce sont les salariés qui sont à l'initiative d'une création de SCOP), le projet de reprise partait avec les handicaps suivants :

- Manque d'anticipation, l'idée voyant le jour après l'annonce des licenciements programmés, et non au moment où les premières difficultés sont survenues,
- Absence de mesures de transition pour préparer la faisabilité de la SCOP, alors que les employeurs pouvaient susciter une démarche officielle de type essaimage,
- Absence apparente de cadres de l'entreprise impliqués dans la mise en place de la SCOP autour d'une équipe structurée,
- Absence de décision et d'orientation claire liant les salariés unis d'une part et les responsables de l'entreprise d'autre part.


Dans ce contexte nous avons constaté que le conflit social et le défaut de dialogue entre l'entreprise et les salariés prenaient irrémédiablement le pas sur la réflexion pour la transmission d'une partie de l'activité de la laiterie du Malzieu aux salariés licenciés.
La dégradation du climat social – consécutive au manque de préparation et de concertation – a abouti à l'exaspération des uns et des autres et conduisaient les salariés et leur entreprise à renoncer à un projet constructif. Cette évolution dispensait du même coup les deux parties d'aborder un dossier complexe : celui du transfert de lait, de spécialités fromagères et de clientèle (via la mise en commun du réseau de distribution ?) de l'entreprise actuelle vers la SCOP, opérateur "entrant" sur le marché des fromages de Lozère.

Au delà de ces circonstances, les producteurs de lait et les salariés ont sans doute très vite appréhendé le transfert du risque et une situation d'autonomie de gestion très inconfortable dans un contexte laitier à la fois peu rassurant et pas davantage stimulant. Rappelons à ce propos que du côté des producteurs comme de celui des salariés il n'y avait pas de maturité pour la pratique du débat et de l'émergence de projet (avec la créativité que cela suppose), situation héritée de l'éloignement des centres de décision et d'un affaiblissement du projet collectif (et de la démocratie dont il dépend).

Au final il serait erroné de considérer que les salariés ont ruiné leurs chances de reprendre une activité intéressante sous forme de SCOP en durcissant progressivement le ton avec leur employeur.  Car en effet c'est bien en amont et pour les raisons décrites ci-dessus que le début d'un projet dans ce sens n'a pas vu le jour.

Nous devons à ce propos nous interroger sur la réalité de l'approche concrète du développement durable dans ce contexte nord-lozérien, au moment où ce thème est très présent dans la communication des élus, des collectivités territoriales, des entreprises et des organisations professionnelles agricoles à l'échelon régional. Comment les valeurs du développement durable pris au sérieux devait-elle s'appliquer dans le cas présent ? Nous y reviendrons bien entendu pour formuler des proposition dans ce sens, mais force est de constater qu'à ce stade ce qui s'est déroulé a constitué un véritable "décrochement" par rapport aux engagements en matière de gouvernance locale. D'une certaine façon, il n'y a même pas eu de rapport de force entre la firme d'un côté (qui applique sa stratégie de délocalisation partielle de la transformation du lait tout en conservant la gestion de ces volumes de lait) et la société civile au sens large de l'autre : aucune idée nouvelle n'a réellement surgit et pesé, aucune mobilisation des forces en présence n'a réellement eu lieu pour contrarier la marche des évènements. Nous pouvons ainsi affirmer que loin d'être en mesure d'opposer une alternative ou une rupture dans la construction du développement économique du territoire (personne ne disposant d'un levier suffisamment fort pour infléchir le mode opératoire de la coopérative régionale), les décideurs et les leaders d'opinion se sont en définitive repliés dans une attitude réprobatrice vis-à-vis de la mobilisation des salariés "mécontents".

La tentative de la Confédération Paysanne de Lozère d'étudier la faisabilité de la création d'une fromagerie collective pour reprendre l'activité stoppée par les Fromageries Occitanes (étude menée avec le soutien financier du Conseil Régional de Languedoc-Roussillon) aurait sans doute rencontré l'adhésion d'un plus grand nombre de partenaires si l'été 2011 n'avait pas été marqué par une sécheresse très sévère. Ce n'est pas le fait qu'un événement climatique de cette ampleur survienne qui compromet les chances de réussite d'une initiative portée par le syndicalisme agricole et une partie de la société civile. Pas directement. Mais compte tenu du fait que les personnes qui s'engagent sont relativement rares (et ce phénomène touche équitablement les différentes tendances syndicales), la multiplication des fronts a un effet de réduction du temps et des forces consacrées aux questions les moins urgentes au profit de celles qui s'imposent en mettant en péril l'équilibre des exploitations agricoles. Dans des conditions de temps limité, et d'encombrement des canaux décisionnels et médiatiques, un sujet ardu comme la création d'une fromagerie collective dans le nord lozérien a toutes les chances d'être occulté et de compter parmi les premières victimes du combat des priorités.
La Confédération Paysanne de Lozère a tout de même poursuivi son travail d'enquête pour rassembler le maximum d'éléments utiles en espérant un retour des préoccupations – si possible avant la prochaine crise du même ordre – à court ou moyen terme, sur les questions cruciales de délocalisation de la transformation fromagère, d'abandon des spécialités typiques de la Lozère, et de  régénération de la capacité de collectifs ruraux à reprendre des activités agro-alimentaires et à les gérer durablement.


2. Nouveau départ pour une fromagerie collective en Haute-Truyère


A l'heure où nous écrivons ces lignes la Confédération Paysanne s'apprête à proposer une restitution publique de ses travaux pour susciter un nouvel engouement et si possible une nouvelle mobilisation en faveur de la relocalisation de la fabrication de spécialités fromagères typiques de la Margeride et de la Haute-Truyère. Ceci peut constituer une réponse pour les ex-salariés de la laiterie en recherche d'emplois et pour tous ceux qui ont subi les événements du Malzieu et entendent préparer un avenir reposant sur les initiatives locales.
C'est d'abord la reconnaissance de la mobilisation initiale, jugée justifiée et salutaire au regard de l'histoire et de la situation actuelle du territoire concerné. Cette mobilisation est un antidote pour lutter contre l'indifférence ou le découragement qui s'imposent si vite au moment de rompre avec le rythme d'une filière économique organisée et conduite par d'autres.
C'est aussi l'occasion de rappeler que des décideurs locaux n'ont pas trouvé la solution pour pérenniser les emplois (emplois légitimes et d'avenir, liés à l'agriculture locale) et redémarrer une activité valorisante pour le territoire. Et qu'ainsi la capacité à produire des idées nouvelles (avec une certaine indépendance) et à fabriquer de la délibération doit être renforcée, avant toute chose.

Après les questions d'ordres juridique, financier et technique (quel statut, quel investissement et quels volumes pour une nouvelle fromagerie ?) qui étaient sensées conditionner la réussite d'un projet de laiterie artisanale ou semi-industrielle, le regard se tourne vers des aspects socio-culturels, qui apparaissent comme de vrais préalables.

Nous pouvons synthétiser un nouveau "jeu de préoccupations" de la façon suivante :

  • Comment éleveurs (producteurs de lait) et fromagers (et emplois induits) peuvent-ils travailler ensemble autour d'un projet de laiterie élaboré collectivement ?
  • Quels peuvent-être les partenaires techniques et financiers d'un tel projet et les fonds en provenance des collectivités territoriales (notamment des fonds d'origine européenne) ?
  • Quels sont les liens à construire avec les consommateurs et les réseaux de distribution qui ont déjà des habitudes de consommation pour les uns et des pratiques commerciales pour les autres ?
  • Dans le cadre d'une relocalisation de la production d'alimentation, et pour développer les circuits-courts peut-on diversifier l'offre en élargissant la gamme ?
  • Comment faire entendre que le fait de transformer le lait collecté sur place s'inscrit dans une stratégie Développement Durable (ou de Responsabilité Sociale des Entreprises) et comment s'assurer une collecte de lait locale ?
  • Quelle est la formule appropriée pour obtenir une protection des produits typiques, pour éviter le développement de copies fabriquées ailleurs, dans des contextes indifférents à la délocalisation ?


Si chacune de ses questions appelle des investigations et des éléments de réponse précis et distincts, à assembler dans le cadre d'une démarche construite de lancement d'une alternative aux filières longues organisées autour des outils industriels existants, il existe un lien entre elles. Ces préoccupations renvoient à la fois au processus de création d'entreprise (porté par un ou plusieurs entrepreneurs associés) et à un projet de territoire impliquant les agriculteurs et les acteurs du développement rural solidaires face aux enjeux économiques et aux autres défis à relever à l'échelle de leur territoire dans les décennies qui viennent (comme la réduction des consommations d'énergies fossiles et des émissions de gaz à effet de serre par exemple).

Elles nous font sortir du champ de la filière et de sa vision verticale fournisseurs – transformateurs – distributeurs – consommateurs, et elles nous font entrer dans celui du partenariat (plus horizontal)  public-privé en phase avec les attentes de différents compartiments d'un territoire doté d'une stratégie et d'outils d'animation. Nous pourrions nous référer aux SYAL pour trouver des exemples vivants de ces partenariats.

Nous choisissons ici de définir ce que nous appellerons les E.I.C.A.L. pour Expériences et Initiatives de Coopérations Agro-alimentaires Localisées (EICAL), pour préciser le cadre de l'ambition que nous nous fixons pour le territoire de la Margeride et de la haute vallée de la Truyère tout en établissant le lien avec des projets en cours ailleurs en France et des expériences concluantes que nous ne perdrons pas de vue.

Rappelons l'enjeu : entre la production fermière à titre individuel d'un côté et les logiques industrielles de l'autre, nous observons un regain d'intérêt pour le développement de filières organisées autour de groupes d'agriculteurs et de petites unités de transformation (moins de 10 salariés) agro-alimentaires.
Des coopérations localisées prenant des formes diverses connaissent un certain succès et d'autres rencontrent de grandes difficultés pour voir le jour ou se développer dans des conditions satisfaisantes.

Un ensemble d'expériences et d'initiatives qui vont dans le sens d'une valorisation des ressources agricoles locales en lien avec des préoccupations territoriales présentent selon nous les points communs suivants :

- La participation d'agriculteurs à la prise de décision pour la gestion et la stratégie de l'outil de transformation,
- Un projet d'entreprise visant à transformer une ressource locale en produits destinés d'abord à un marché local,
- L'existence de coopérations territoriales rendant le projet d'entreprise viable, vivable et constructif sur le plan environnemental/écologique (coopérations en amont et/ou en aval de l'activité de transformation agro-alimentaire).

Et si nous regardons le territoire où nous inscrivons cette démarche de construction d'une EICAL, nous devons reconnaître que ce n'est pas uniquement avec la filière laitière que nous devons avancer, elle qui justement est en train de délocaliser partiellement ses activités, et n'est pas en mesure de relever le défi du "transfert de risque" que nous avons évoqué plus haut.
Nous proposons par conséquent d'ouvrir cette démarche aux autres productions, et en premier lieu à celles et ceux qui sont sur le chemin de la valorisation locale de leurs produits, comme les producteurs fermiers, ou bien celles et ceux dont l'activité de service n'est pas délocalisable car intimement liée au territoire, et même motivée par le territoire devrait-on dire, comme les activités d'agro-tourisme.

Reconnaissons qu'il ne faut pas sous-estimer l'importance d'un préalable : la prise de conscience partagée que les stratégies de firmes à l'œuvre sur le territoire n'apportent pas toutes les solutions en termes de développement et de durabilité et que par conséquent il devient nécessaire à un moment donné de s'écarter de ce modèle. La nécessité de l'écart à faire doit être perçu collectivement.
Ici l'écart signifie précisément "sortir d'une approche de filière verticale pour appréhender de façon nouvelle les liens entre les actes de productions et le territoire (dynamique horizontale)". Franchir cette étape suppose d'obtenir de la part d'un certain nombre de partenaire du terrain qu'ils se détrompent de ce qui était couramment admis jusque-là : qu'il n'y a pas de salut en dehors de la filière agro-alimentaire longue et de l'intégration des activités agricoles qu'elle entraîne.

Si le partenariat (avec la perspective d'un projet d'EICAL) voit le jour autour d'un groupe d'entrepreneurs (productions agricoles diverses, transformations à la ferme et/ou artisanales, services), avec le soutien assumé de collectivités territoriales, alors un nouveau départ pourra être pris pour penser à la création d'une fromagerie collective ou au lancement de tout autre projet de valorisation des produits locaux auxquels des éleveurs laitiers pourront s'associer.


3. Un fil directeur : du territoire donné au territoire construit


Ce territoire entre vallée de la Truyère et Margeride ne doute-t-il pas de lui-même ? N'est-il pas temps pour lui d'afficher une volonté après avoir redéfini ses priorités ? Si tel est le cas, un diagnostic de la situation actuelle sera un point d'appui indispensable à ceux qui veulent entreprendre.

Abordons ici sans concession quelques caractéristiques de ce territoire de la Haute-Truyère en attendant de les approfondir, en nous posant les questions suivantes :

  • La fréquentation touristique est importante mais la population locale, notamment agricole, exploitera-t-elle  sa marge de progression pour accueillir d'avantage et mieux ?
  • Le terroir agricole a de grandes qualités mais les produits qui en sont issus ne risquent-ils pas de pâtir d'un manque de démarche de labellisation qui assureraient leur reconnaissance sur les marchés locaux et lointains ?
  • Quand on connaît le succès que rencontre ceux et celles qui existent, n'y a-t-il pas un manque de points de vente des produits locaux et de prestations à même d'assurer l'essor de la commercialisation des produits locaux ?
  • En privilégiant une promotion du caractère sauvage de la Margeride et du Gévaudan, la communication en direction des publics de passage ne néglige-t-elle pas les activités agricoles et leurs rôles positifs ?
  • Le réseau hydrographique, très précieux et structurant pour le territoire et son agriculture, semble être perçu au mieux comme un élément du paysage, au pire comme un obstacle, n'est-ce pas anachronique à une époque où tout ce qui a trait à l'eau revêt un caractère de plus en plus stratégique ?
  • Fragmenté entre les départements de la Lozère, du Cantal et de l'Aveyron, le cours prestigieux de la Truyère n'est pas perçu comme un tout : ne faudrait-il pas chercher à faire le lien avec la vallée du Lot pour promouvoir une dynamique d'ensemble ?
  • La faiblesse de la natalité et le manque d'attractivité du milieu rural ne laissent-ils pas présager une perte continue de population en même temps qu'un vieillissement accru, alors que les inconvénients du desserrement du tissu rural sont bien connus ?
  • Entre la crête de la Margeride, le Sud du Cantal, le Sud de la Lozère et l'Aubrac, la partie lozérienne de la vallée de la Truyère n'est-elle pas "à la marge des autres territoires", sans identité propre ni sans maison des projets ?


Ces questions nous ramènent à une observation que nous avons partagée avec plus d'un interlocuteur lors de notre enquête et qui est relativement abrupte : s'il ne prend pas davantage en main son développement, le nord de la Lozère risquera d'être pas encore soumis aux "aléas des autres" plutôt qu'à sa propre volonté.

Et nous pourrions rapprocher les éléments de diagnostic dont nous disposons avec les signes avant-coureurs d’un scénario décrit dans la prospective "Territoires 2040" (DATAR) pour les espaces de la faible densité : le scénario "Platefomes productives".


Les mots clés de ce scénario sont : exploitation maximisée, filières longues et mondialisées, exode rural, énergies, alimentation, stockage, agro-systèmes, compétitivité verte, pilotage à distance.
Selon ce scénario, « l’orientation des espaces entre les différentes fonctions s’effectue selon leurs avantages comparatifs sur le marché, avec une régulation plus ou moins forte par les politiques sectorielles. Des concurrences entre investisseurs et opérateurs pourraient générer des tensions fortes et des changements rapides dans les formes de mises en valeur (agriculture versus énergie photovoltaïque par exemple). La logique des filières mondialisées, pilotées par l’aval, capables de délocaliser rapidement leurs sites de production, l’emporte sur celle des territoires. Dans ce contexte, les collectivités locales, désormais à grande maille, cherchent à monnayer la valeur productive de leur territoire et s’organisent pour tirer partie de ces formes d’exploitation, à travers un système de valorisation locale (taxation et contrats de production). Le contexte général est cependant celui d’un affaiblissement des pouvoirs locaux, notamment par rapport à leur capacité de transaction avec les puissances économiques. L’échelle méso émerge ainsi comme celle de l’organisation et de la planification du fonctionnement de ces espaces ».

Déjouer un tel scénario nécessite de remettre en discussion l'identité du territoire et de construire un développement économique qui prévient les délocalisations, ou bien répond aux délocalisations par une relocalisation des activités.


Conclusion


Le temps de la proposition de création d'une SCOP pour assurer une reprise de l'activité abandonnée par la "grande coopérative" a été bref et très vite le bien-fondé de cette initiative a été démenti. Aussi fugace soit-elle, la manœuvre a un charme qui opère. Dans le sens de ceux qui veulent gagner du temps en faisant croire que les conséquences sociales d'une délocalisation les touchent sincèrement. Il y a toujours de la popularité à récolter pour ceux qui, au moment de voir s'écrouler une entreprise mal gérée et peu rentable (contrainte de stopper faute d'avoir pris un virage plus tôt), préconisent une reprise par les salariés. Cela est particulièrement vrai dans le cas de Seafrance actuellement sous le feu des projecteurs. Il s'agit le plus souvent d'une opération de communication qui permet de cacher les vraies difficultés rencontrées par l'économie française : dans le cas de la laiterie du Malzieu-ville situé au beau milieu d'un territoire fragile (le nord du département de la Lozère), le véritable enjeu se situe justement au niveau de la bonne gouvernance et de la réussite économique d'une coopérative agricole. Au fil des années, une laiterie artisanale devenue industrielle et située en plein cœur d'un bassin de production avantageux s'est finalement enfoncée dans des difficultés sans trouver de solution. Une SCOP serait-elle à l'abri d'une telle perspective ? Certainement pas.

Après l'abandon du projet de SCOP le vrai travail peut commencer. Il consiste à étudier la faisabilité d'une activité agro-alimentaire locale économiquement viable, et constructive sur les volets sociaux et environnementaux. Après avoir consacré l'équivalent d'une cinquantaine de jours à cette enquête, nous recommandons de sortir de l'approche "filière lait" classique, pour chercher à établir des liens entre les activités agricoles et non-agricoles intéressées par une coopération territorialisée. Nous pensons que la question alimentaire est un fil directeur très productif, pour construire des partenariats, et remobiliser les forces du territoire. Il s'agit de définir une stratégie pour produire localement ce dont le territoire, sa périphérie, et ses visiteurs ont besoin, tout en planifiant une reconversion des activités dont la vocation actuelle est d'exporter une matière première bon marché vers des utilisations industrielles délocalisées. Ce type de planification ne peut être que participative et reposer sur un territoire en pleine réappropriation de son devenir économique. Des questions doivent désormais être traitées à fond : quelles activités seront-elles amenées à décroître, quelles sont celles que l'on peut voir croître, comment anticiper, comment préparer les changements dans le sens d'une relocalisation des activités ?

Autrement dit, nous mettons en débat l'idée suivante : un projet de coopération agro-alimentaire localisée, construite sur une redéfinition d'une identité forte du territoire, doit pouvoir s'adosser à un dispositif de prospective sur les activités et les actifs.
Concrètement une véritable "cellule de crise" permanente sur la vie économique doit être en mesure de prévoir les coups et d'orienter les choix en matière d'attaque et de défense sur le terrain du maintien du tissu économique. Comment imaginer, dans ces conditions, et alors que tous ses outils existent potentiellement en région Languedoc-Roussillon, que les forces nord-lozériennes se dispersent après un soi-disant échec de projet de SCOP ? C'est au contraire le moment d'une vraie prise en main, dans un contexte éclairci. C'est maintenant que le manque de mobilisation serait préjudiciable.



A consulter à ce sujet :

  • Rapport d'enquête sur les facteurs de réussite d'un projet de fromagerie collective

  • Diaporama projeté lors de la réunion publique du 6 mars 2012 au Malzieu

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